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« Et après ? Comment pouvons-nous revenir et vivre à nouveau dans le train-train ?… »

22 décembre 2022 | Publié dans Histoires de pèlerins | Écrire un commentaire
 
Pèlerins russes débarquant d’un navire d’Odessa sur la jetée Roussikon au Mont Athos
Au début du XXe siècle, le journaliste anglais Stephen Graham, fasciné par la vague des hommes et des femmes de Russie qui se rendaient en Terre sainte, se joignit à l’une de leurs caravanes.

Se rendant avec eux sur les lieux saints de Palestine, il les accompagna sur le chemin du retour jusqu’à Odessa. Vivant avec eux l’exaltation du pèlerinage, il comprend aussi la difficulté du retour à la vie ordinaire :

« Et moi, pour utiliser la métaphore de l’île vierge, j’avais dans un rêve traversé l’océan, j’étais devenu, par l’accomplissement d’un rite, plus attaché à la vie qui est au-delà. Dorénavant j’ai une promesse plus crédible et un espoir plus substantiel.

Et après ? Le voyage est fini, la lueur de la vision s’efface et nous retournons tous à la vie dont nous sommes venus. Nous descendons de ce que les pèlerins appellent le plus haut lieu saint de la terre et revenons au niveau ordinaire de vie. Comment pouvons-nous revenir et vivre le à nouveau dans le train-train ? Ne serons-nous pas comme le Lazare dépeint dans l’histoire de Browning, gâté pour la terre, ayant vu le ciel ? Le russe appelle le pèlerin revenu chez lui polu-svatoe, un demi-saint : cela signifie-t-il peut-être que la vie est gâtée pour lui ?

Quelques centaines de pèlerins âgés meurent chaque année durant le Carême ; ils meurent durant les longues randonnées en Galilée sur la route de Nazareth. Beaucoup meurent paisiblement à Jérusalem même, sans même y voir la Pâques. On les estime heureux. Être enterré à Jérusalem est considéré comme une chose particulièrement douce, et c’est en effet très bonne chose pour ces vieillards que le symbole et la chose qu’il a symbolisée coïncident, et que pour eux le voyage vers la Jérusalem le terrestre soit de manière si évidente et matérielle un grand pas vers Jérusalem d’Or. D’une certaine façon, il aurait été triste pour de tels vieillards de retourner encore une fois à travers l’océan à la vie ancienne de la Mère Russie. Mais qu’en est-il des jeunes qui doivent nécessairement revenir ?

Une fois que Pâques était passé, il était stupéfiant de voir à quel point nous étions impatients de monter dans le premier bateau et de retourner à la maison. Qu’allions-nous faire quand nous serions arrivés là-bas, sachant que nous avions été à Jérusalem ?

Nous reportons notre vision dans la vie quotidienne, ou plutôt nous en portons le souvenir dans nos cÅ“urs jusqu’à un jour d’accomplissement. Toutes les vraies visions sont des promesses et celle que nous avions eue n’était pas qu’un aperçu de la Jérusalem dans laquelle nous vivrons tout à fait un jour.

Les paysans ont rapporté avec eux beaucoup d’images des lieux sacrés de Jérusalem et des icônes de Jérusalem, pour les mettre dans leurs petites maisons en Russie, dans le coin oriental de leur chambre. Ils allumeront dorénavant des lampes et des cierges devant ces images. Le cierge devant l’image, c’est, comme nous savons, la vie de l’homme vécue devant la vision de Jérusalem ; la vie quotidienne ordinaire de l’homme en présence de la ville céleste.

Nous comprenons la vie elle-même comme le pèlerinage de pèlerinages. La vie contient beaucoup de pèlerinages vers Jérusalem, de même qu’il contient beaucoup de floraisons du printemps à l’été, de même qu’il contient beaucoup de banquets de Communion et non simplement un seul. Certains des pèlerins vont en réalité bien dix fois vers la Jérusalem de Palestine. Mais il y a des Jérusalem en d’autres lieux, si seulement ils le savaient, et des pèlerinages d’autres sortes. Il est possible de revenir et de vivre le pèlerinage d’une autre façon et de trouver une autre Jérusalem. La vie a ses profondeurs : nous y descendrons.

Il se peut que nous y oubliions la vision, mais comme a dit une fois un vrai pèlerin, « Nous vivrons toujours de nouveau pour voir l’heure dorée de notre victoire. » C’est la foi du vrai pèlerin. Il atteindra Jérusalem à maintes reprises. Il peut oublier, mais il se souviendra toujours de nouveau ; il se lèvera toujours de nouveau à la lumière du souvenir. Dans les profondeurs de cet univers sombre, notre petit soleil quotidien brille, mais en haut, il y a un autre soleil. De temps en temps, au cours de notre vie, nous nous levons à la surface et, pendant une minute, nous apercevons un éclat de la lumière de ce soleil : à chacun de ces instants nous aurons atteint Jérusalem et aurons achevé un pèlerinage dans le pèlerinage. Il y a de la légèreté sur les visages de ceux qui vivent héroïquement : c’est la lumière de la vision de Jérusalem. Â»

Stephen Graham – Croquis d’un vagabond

 
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