Un voyage inhabituel et périlleux à travers la Turquie (1432)
« Je demeurai pour cause de maladie jusqu’au dix-neuvième jour d’août en l’église du mont Sion, où demeurent les frères Cordeliers. Étant au lit de ma maladie, alors que je commençais à revenir à la santé, je me souvins que j’avais ouï dire à quelqu’un que ce serait une chose impossible à un chrétien de revenir par terre jusqu’au royaume de France. Et à mon entendement, lequel je ne dis point qu’il soit sûr, il me semble qu’à un homme assez bien complexionné pour endurer la peine et de moyenne force, mais qui ait argent et santé, toutes choses lui sont possibles de faire ? et je prie Dieu que ce ne me soit tourné à outrecuidance. Donc, je me remis à l’aide de Notre-Seigneur et de sa glorieuse Mère, qui jamais ne faillit à nul qui de bon cÅ“ur s’adresse à elle, pour faire ledit chemin par terre depuis Jérusalem jusqu’au royaume de France, ou d’y rester. Et de ma volonté, je ne parlai à nulle créature jusqu’à Beyrouth où je le dis à messire Andrieu de Toulonjon, auquel auparavant je fis promettre qu’il ne me découvrait point d’une chose que j’avais la volonté de faire.
Et donc, je parlai à Nachardin, alors Grand Truchement du sultan à Jérusalem, et qui devait me donner un guide pour faire le voyage et le pèlerinage de Nazareth et du mont Tabor. Et quand il plut à Notre-Seigneur que je fusse prêt pour faire mon dit pèlerinage, ledit guide me faillit de convenant. Et il me dit qu’il ne trouverait nul qui osât faire ledit pèlerinage, à cause de la guerre qui était entre les gens de quelques villes qui sont sur le chemin, et qu’il n’ay avait pas longtemps qu’ils avaient tué un Vénitien et son guide. Et aussi le gardien du mont Sion ne voulut consentir que je fasse ledit pèlerinage, et m’en détourna. »
Bertrandon persiste toutefois dans son idée et se rend à Beyrouth, puis Damas où il rencontre Jacques Cœur, le grand argentier de Charles VII. Dans cette ville, il se joint à une caravane à destination de Brousse [Bursa], qui était, jusqu’à l’époque de la prise d’Andrinople [Edirne], la capitale des princes ottomans. Un peu plus loin sur la route, on le met à nouveau en garde contre les dangers d’une traversée par la terre :
« Ensuite, en la ville de Karaman, je trouvai un gentilhomme de Chypre que l’on nomme Lyachin Castrico, et un autre que l’on nomme Léonce Macheras qui parlaient assez bien français. Ils me demandèrent d’où j’étais et comment j’étais venu là . Je leur répondis que j’étais le serviteur de monseigneur le duc de Bourgogne et que je venais de Jérusalem et de Damas avec la caravane, de quoi ils furent bien émerveillés comment j’étais passé jusque-là . Ils me demandèrent où je voulais aller. Je leur dis que je m’en venais en France devers mon seigneur, par terre. Ils me dirent que c’était chose impossible, et que si j’avais mille vies, je les perdrais ainsi ? et que si je voulais retourner avec eux, il y avait là deux galères qui étaient venues quérir la sÅ“ur du roi qui était mariée au fils de monsieur de Savoie et, pour l’amour et honneur de mon seigneur de Bourgogne, ils savaient bien que le roi de Chypre me ferait volontiers ramener. Je leur répondis que puisque j’étais venu jusque-là , qu’avec l’aide de Dieu, je poursuivrais mon chemin ou j’y resterais. »
Asie Mineure – carte du XVesiècle
Lire l’article complet : Bertrandon de la Broquière
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