Le retour au pays des soldats d’Alexandre
Il y avait, à l’armée, un grand nombre de soldats qui venaient de se marier. Alexandre les autorisa à rentrer chez eux pour passer l’hiver en Macédoine. Ils partirent sous la conduite de trois jeunes mariés qui portaient le grade de général : Séleucos, fils de Ptolémée et gendre de Parménion, Koinos et Méléagre, tous deux stratèges de la phalange. Ceux-ci reçurent l’ordre de ramener de Pella, en même temps que les permissionnaires, autant de troupes fraîches que possible et de rejoindre la grande armée à Gordion, au printemps suivant.
On peut s’imaginer quelles acclamations saluèrent cette nouvelle inattendue et avec quelle joie les guerriers furent accueillis par les leurs, lorsqu’ils rentrèrent dans leurs foyers ! Ils ne se lassèrent pas de raconter leurs prouesses et celles de leur roi, de décrire le butin conquis et les merveilleuses provinces asiatiques : on eût dit que l’Asie et la Macédoine avaient cessé d’être, l’une pour l’autre, des terres lointaines et inconnues. (1)
Rituels lors du départ du voyageur
Toute communauté grecque redoute par-dessus tout que ces séparations deviennent définitives et que ses membres s’éparpillent, condamnés à l’éternelle errance (planètaï) qui est, depuis Homère, une véritable disparition. Aussi les actes rituels qui entourent le départ des voyageurs, et que décrivent les romans grecs, tentent-ils d’exorciser cette menace : les prières et les libations auxquelles procèdent ceux qui restent à terre ont pour but d’implorer des dieux un heureux retour dans la patrie. (2)
Le retour d’un inconnu
Celui qui revient n’est plus le même : on ne le reconnaît plus, on ne comprend plus sa façon de parler ; c’est un inconnu, et il n’a plus sa place. Les mésaventures d’Ulysse lors de son retour à Ithaque sont célèbres : ni son fils, ni sa femme, ni son père ne le reconnaissent.
Mais la réalité athénienne du IVe siècle atteste que des procès ont eu lieu pour reconnaître les droits de « revenants » qui avaient fini, au terme d’une longue captivité, par prendre l’accent de la Sicile et qu’on confondait donc avec des étrangers (Démosthène, Contre Euboulides, 18). Dans le monde grec où l’état civil était embryonnaire et les registres fort mal tenus, maintenir les droits de l’absent était une gageure. (2)
Comment protéger les droits et la propriété de l’absent
Les biens de l’absent ne sont pas protégés en droit grec, sauf dans le cas particulier des soldats en campagne, à l’époque hellénistique. (…)
D’autres papyrus témoignent encore d’actions judiciaires similaires, intentées par des épouses de soldats en campagne : elles y sont autorisées par la loi lagide en tant que faisant partie du « bagage » (aposkeuè) du soldat absent, qui garde donc sur ses possessions — personnes et biens — un droit de protection reconnu par les pouvoirs publics. Il peut ainsi voyager l’esprit tranquille au service de son roi. (2)
Les difficultés soulevées par le retour des voyageurs se retrouvent au Moyen Âge à l’occasion des pèlerinages en Terre sainte. La société et l’Église durent légiférer pour garantir les droits des absents et limiter désordres et perturbations.
Conditions de vie de l’épouse et des enfants restés au pays
C’est là un privilège que ne partagent pas les autres catégories professionnelles dans les royaumes hellénistiques. Aussi un marchand ou un fonctionnaire s’inquiète-t-il toujours pour ses proches qu’il recommande à ses amis (Papyrus Cairo Zenon, 59 025 (Orrieux).) :
« Voyant que ce voyage était nécessaire, j’ai laissé derrière moi ma petite femme qui est sur le point d’accoucher. Tu m’obligerais donc en prenant soin, si quelque chose manque aux miens, de le leur envoyer ou de le faire pour eux.
Et même, si cela t’était possible, achète à Charmide et donne-leur six congés d’huile d’olive, on dit qu’il en vend. Porte-toi bien ! »
Les conditions d’existence de l’épouse et des enfants, en l’absence du chef de famille, sont très précaires. La littérature athénienne de la fin du Ve et du IVe siècle fourmille d’exemples de situations de détresse, quand des femmes abandonnées sont obligées de travailler comme salariées, comme nourrices, comme bouquetières, comme fileuses, pour nourrir leurs enfants (Xénophon, Mémorables, VII, 2 ; Aristophane, Thesmophories, 446-449).
On comprend dans ces conditions les conseils de célibat donnés aux professionnels du voyage à l’époque impériale, notamment aux philosophes. (2)
(1) Gustav Droysen - Alexandre le Grand
(2) Jean-Marie André / Marie-France Baslez - Voyager dans l’Antiquité
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