Bernard le Sage
On sait peu de choses de Bernard le Sage, né vers 840, moine français qui entreprend un voyage en Terre sainte vers 870, sous le règne de Charles le Chauve. Voici l’itinéraire qu’il indique à partir de Rome où il est venu se procurer l’autorisation papale pour se rendre en pèlerinage : mont Gargan, Bari, Tarente, Alexandrie, Le Caire, El-Arish, Ramla, Emmaüs, Jérusalem et Bethléem. Bernard meurt vers l’an 900.
Une lettre de recommandation du pape
Au nom de Dieu, voulant voir les Lieux saints qui sont à Jérusalem, moi, Bernard, je me suis associé à deux frères dans l’amour et la piété. L’un, nommé Theudemond, venait du monastère du bienheureux Vincent à Bénévent, l’autre était un Espagnol du nom de Vincent. Quant à moi, c’est en France que je suis né. Nous sommes donc allés dans la ville de Rome nous présenter au pape Nicolas et il nous accorda, avec sa bénédiction, la licence que nous souhaitions pour nous aider dans notre pérégrination.
À bord des navires sarrasins
Quittant le mont Gargan, nous sommes arrivés au bout de cent cinquante milles à Bari, ville qui appartient aux Sarrasins, mais avait été auparavant sous l’autorités des Bénéventins. Cette ville, située sur la mer, est renforcé au midi de deux murs très épais, tandis qu’au nord elle se dresse sur un cap exposé à la mer. Là, muni de deux lettres, nous sommes allés trouver le chef de cette cité, nommé le sultan, pour lui demander tout ce dont nous avions besoin pour naviguer. Ces lettres adressées au maître d’Alexandrie et de Babylone [ville chrétienne à côté de laquelle sera construite, au Xe siècle, la ville du Caire], donnaient la description de nos visages et exposaient notre itinéraire. Ces deux chefs sont soumis à l’autorité du Commandeur des croyants qui demeure à Bagdad et à Axinarre et commande à tous les Sarrasins qui sont au-delà de Jérusalem.
Au départ de Bari, nous avons fait la route vers le midi pendant 90 milles jusqu’au port de Tarente. Là, nous avons trouvé six navires où il y avait 9 000 captifs chrétiens de Bénévent. Dans deux autres navires, qui partirent les premiers vers l’Afrique, il y avait 3 000 captifs. Deux autres navires partirent ensuite en conduisant de même à Tripoli 3 000 autres captifs.
Nous sommes montés dans un des deux autres navires, où se trouvait aussi le même nombre de captifs et, au bout de trente jours de navigation, nous avons été débarqués au port d’Alexandrie. Nous voulions descendre à terre, mais le chef des marins - ils étaient plus de soixante - nous en empêcha et, pour obtenir l’autorisation de débarquer, il fallut lui donner six dinars d’or.
La traversée du désert
Dans la ville de Fara [à l’est de la branche orientale du Nil, près de l’actuelle El-Arish], on trouve une église dédiée à sainte Marie, au lieu où Joseph, averti par l’ange, s’enfuit vers l’Égypte avec l’enfant et sa mère. Dans cette ville, il y a une multitude de chameaux que les étrangers prennent en location aux habitants pour porter leurs fardeaux dans le désert, dont la traversé dure six jours. Ce désert commence à la sortie de Fara. On a bien raison de l’appeler désert, car on n’y voit ni herbe, ni fruit d’aucune semence, sinon des palmiers. Il est blanc comme la campagne sous la neige. En chemin, on trouve deux hospices, nommés Albara et Albacara, dans lesquels païens aussi bien que chrétiens font commerce de tout ce qui est nécessaire aux voyageurs. Tout autour, en dehors des palmiers, la terre ne produit rien. Après Albacara, la terre devient fertile jusqu’à Gaza, qui fut le ville de Samson et qui regorge de toutes sortes de richesses.
Jérusalem et la paix entre chrétiens et païens
D’Emmaüs, nous sommes parvenus à la sainte cité de Jérusalem et on nous a reçus dans l’hospice du très glorieux empereur Charles [Charlemagne]. On y reçoit tous ceux qui viennent en ce lieu par dévotion et sont de langue romane. Il est voisin d’une église dédiée à sainte Marie. Grâce au zèle de l’empereur, l’hospice possède aussi une très belle bibliothèque, douze maisons, des champs, des vignes et un jardin dans la vallée de Josaphat. [...]
Il faut que je vous dise pour terminer comment les chrétiens observent la loi divine, soit à Jérusalem, soit en Égypte. Les chrétiens et les païens vivent dans une telle paix que, si je voyage et que, sur le chemin, mon chameau ou mon âne, la monture du pauvre, vient à mourir et que je laisse tout mon bagage sans garde pour chercher une autre monture en ville, je trouverai tout intact à mon retour. Pour assurer la paix et la sécurité, si en ville ou sur un pont, ou sur le chemin, on trouve un homme marchant de nuit, ou même de jour, sans une charte quelconque ou un document scellé du roi ou du prince de la terre, on le fait aussitôt jeter en prison jusqu’à qu’on puisse s’assurer s’il est ou non un espion.
Bernard le Sage - Itinerarium ad loca sancta
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